Qui est Maud Gonne, ou Mme Mac Bride ?
Maud Gonne (1866-1953)

Pour une petite cité comme Mirebeau en Poitou, c’est beaucoup d’avoir accueilli non pas une, mais deux « Jeanne d’Arc » ! Il est vrai que le blason français avait besoin d’y être redoré. Deux siècles plus tôt, Aliénor d’Aquitaine, une autre intrépide, s’y était illustrée en faveur du roi d’Angleterre son fils, Jean Sans Terre. Alors, double revanche contre les anglais, avec ces deux Jeanne d’Arc !
L’itinéraire de la première des héroïnes nationales, se rendant en compagnie de Charles VII l’Université de Poitiers qui avait confirmé sa mission au Château royal de Chinon, la fait logiquement passer le 29 mars 1429 par Mirebeau, où elle fut logée à l’auberge de la Place de la Poterie. Cinq siècles plus tard, c’est en revanche à l’Hôtel de France, Place de la République, qu’à l’invitation et en compagnie de Everard Feidling, catholique Anglais très en vue et membre de la « Society of Psychical Research », « la Jeanne d’Arc irlandaise » descend les 11 et 12 juin 1914 en compagnie de son grand admirateur, l’écrivain irlandais William Yeats, membre de ladite société. Qui est Maud Gonne, ou Mme Mac Bride ? Affrontant elle aussi l’Angleterre, c’est la grande héroïne de l’indépendance irlandaise, deux fois emprisonnée, dont le mari est fusillé au lendemain du soulèvement de Pâques 1916. Elle est aussi la mère de Sean Mac Bride qui en a poursuivi l’engagement social et politique, fondateur d’Amnesty International et prix Nobel de la Paix.
Un récent article de journal nous rappelle l’histoire agitée de la célèbre visiteuse.
« Née en 1866 en Angleterre dans une famille aisée, Maud Gonne a 4 ans quand sa mère décède. Son père, [irlandais et] militaire, les emmène, elle et sa sœur, en Irlande où il est affecté. Les fillettes y sont élevées par une gouvernante. Ce pays, elle en fera le sien. Quand elle a 13 ans, Maud, de santé fragile, séjourne dans le Sud de la France dont elle découvre la langue et la culture. Pour être indépendante, elle devient actrice. De retour à Dublin, elle mène une vie mondaine. Ses manières aristocratiques lui ont notamment été inculquées par sa tante, la comtesse de la Sizeranne, établie à Paris. [C’est alors qu’elle] a commencé à entendre parler de la famine en Irlande et qu’elle a été choquée par le sort réservé aux métayers irlandais. À la mort de leur père, plutôt que de rejoindre une famille anglaise qu’elles n’aiment pas, Maud et sa sœur choisissent l’indépendance. […] « En 1887, alors qu’elle « prend les eaux » en France, à Royat en Auvergne, elle croise le chemin de Lucien Millevoye. Maud Gonne tombe amoureuse de ce journaliste nationaliste, marié, « très excessif, qui détestait l’Angleterre », proche du général Boulanger. « Elle lui a parlé de la misère en Irlande et lui a dit qu’elle voulait s’engager pour ce pays. Millevoye la voyait comme une figure héroïque. Il l’a comparée à Jeanne d’Arc. »
« Maud Gonne et Lucien Millevoye vont partager leurs élans nationalistes pendant de nombreuses années. À Paris, la jeune femme tient salon, reçoit les nationalistes français les plus virulents, certains antisémites, comme Maurice Barrès et Édouard Drumont. Désormais journaliste, elle mène sa propagande tant à Paris qu’en Irlande où elle retourne régulièrement. » « Témoin de la souffrance des Irlandais, elle la dénonce dans des articles publiés en Irlande et en France (par exemple dans le Journal des voyages en 1892). Maud Gonne a aussi sa propre publication en France : L’Irlande libre. Sa meilleure amie française, Avril de Sainte-Croix, est une féministe de l’époque. » « En 1900, elle se sépare de Millevoye. Elle se lie d’amitié avec Arthur Griffith (fondateur du « Sinn Fein » en 1905) et crée en Irlande l’association nationaliste les « Inghinidhe na hÉireann» (Les Filles d’Irlande) : ces femmes entendent insuffler aux jeunes générations le sens de la patrie et du sacrifice. Elles montent des tableaux vivants qui exaltent le patriotisme irlandais et font sensation. » « Le poète Yeats, amoureux de Maud Gonne depuis leur rencontre alors qu’ils n’avaient que 23 et 24 ans, écrit, en pensant à sa muse, la pièce de théâtre Cathleen in Houlihan. Elle est perçue par les nationalistes comme un vibrant appel au patriotisme et au sacrifice. Maud Gonne y tient le rôle d’une femme, allégorie de l’Irlande. En 1903, Maud Gonne se marie contre l’avis de tous ses proches – Yeats est au désespoir – au major John Mac Bride, « un rebelle, un homme d’action », violent dans le privé, dont elle sépare rapidement. Suit une période plus posée, marquée par ses séjours à Colleville avec ses enfants, Iseult et Sean. Après l’insurrection en Irlande à Pâques 1916, suivie d’une forte répression de la part des Anglais, Maud Gonne reprend son activisme politique. Il lui vaudra de la prison. « Elle voulait continuer la lutte pour l’indépendance totale de l’ensemble de l’Irlande. »
« Des combats, Maud Gonne en mena toute sa vie. Elle aida les Parisiens lors de la grande inondation de 1910. Elle fut infirmière dans le Nord de la France en 1914. Elle s’engagea pour la défense des prisonniers politiques. »
« C’était une femme très humaine. En Irlande, elle a participé à la soupe populaire, aidé à construire des refuges. » « Une vie sans concession, faite de diatribes parfois violentes, mais aussi pétrie d’humanité, jusqu’à son décès, le 27 avril 1953. »
Complétons ce tableau en évoquant sa conversion au catholicisme. Amie de la prieure du Carmel de Laval Suzanne Foccart qui fera couler beaucoup d’encre, elle lui confie le soin de sa fille Iseult dont le père est L. Millevoye. Puis c’est par l’évêque de Laval, Mgr Geay, qu’elle est rebaptisée dans l’Eglise catholique en février 1903. Sa conversion semble sincère ; lors de la visite du roi Edouard VIII en Irlande la même année, elle troque les couleurs de l’Union pour le noir du deuil du Pape Leon XIII. Mariée à l’Eglise à Paris peu après son baptême, elle doit se séparer de son mari violent au bout de peu de temps mais ne divorce pas, obtenant la garde de Sean, leur enfant.
Ce résumé de sa vie passe sous silence ses innombrables actes de charité et de justice : organisant le secours des affamés et des orphelins, accompagnant devant les prisons, au moment des exécutions, les femmes dont les maris étaient fusillés. Les ultimes paroles de cette restauratrice de la patrie irlandaise, usée par un cancer, le 27 avril 1953, sont un avant-goût de la nouvelle et éternelle Patrie : « je ressens une ineffable joie». Elles nous ramènent à son expérience de foi de Mirebeau, décrite par ses compagnons, où elle était venue en curieuse sinon en sceptique, mais où elle avait été la seule saisie au cœur par l’effigie du Sacré-Coeur : Elle « devenait de plus en plus dévote »… constate William Yeats dans son Essai… « Maude est tombée à genoux tôt dans la journée, et est restée ainsi autant que possible. »
De retour à Paris, c’est elle qui écrira le reportage de la visite de Mirebeau, dicté par Yeats.